Le vieux qui prétendait traverser l’Atlantique suite et fin provisoire...

Revenu à la maison froide et triste :

 

Trouver un refuge terrestre quand on a perdu son refuge marin c’est quand même rassurant, et je pense à ceux pour qui, vivant sur leur bateau, c’est leur seul refuge.
Après la résilience et la joie de survivre vient le contrecoup, j’ai compris que je ne retrouverai plus mon voilier, le deuil se prolonge, je pleure à tout propos. Je ne percevais pas en abandonnant Timoun que je perdais une partie de ma vie. Les rêves, les espoirs, ce qui me fait avancer. Tout me semble vain, je ne me suis jamais senti aussi faible, même mon physique m’abandonne. Patience, patience : elle n’est pas mon fort.
Et surtout, l’impossibilité de rêver à nouveau tout de suite, reprendre ses désirs pour des réalités. Tout ce que tu as mis des années patiemment à construire anéanti en un instant. Tout cet investissement financier moral ; repasser le permis, ces heures à améliorer ce bateau à apprendre la théorie, à pratiquer aussi, tout cela en tas de cendres… Perdrais-je cette terrible lucidité qui empêche d’agir et qui me taraude présentement.
Retrouverais-je l’illusion du rêve trop grand, deviendrais-je résigné, un triste vieux ? Et surtout ce sentiment terrible de ne pas être à la hauteur de mes rêves, et la honte de décevoir ceux que j’aime…

 

De retour à la maison, j’ai tout le loisir de méditer cette phrase tirée du livre de Van Cauvlaert "Jules" : "Ce sont nos rêves impossibles qui gouvernent nos vies"

Une autre phrase me vient à l’esprit tiré de la chanson de Brel : "Devenir vieux sans devenir adulte"
Que c’est il passé Daniel ? Tu as joué, tu as perdu, la mer c’est "pour adulte" comme nous disions à l’époque. Un enfant qui se donne des responsabilités d’adulte voila ce que tu es. Une intuition ? J’avais renommé ce journal "le vieux qui prétendait traverser l’Atlantique" Heureusement, un peu responsable quand même, j’avais intuitivement choisi de n’entraîner personne dans ma déraison…
A l’hôpital de Toulon on m’appelle le naufragé…
Oui j’ai quitté mon bateau en parfaite inconscience - la peur annihile tout - sans en voir les conséquences. Des années d’investissement moral et financier. Tout à racheter matériel de voile, mais aussi de montagne et vêtements, pharmacie, jusqu’aux cafetières etc. Parti pour 6 mois c’est la maison momentanée qui brûle. J’ai pris cette décision comme un animal juste le corps pas la tête, j’ai très peu d’images et plus je me refais le film plus il s’estompe. Juste ces grosses vagues au réveil qui roulent et percutent Timoun et moi au fond du carré, malade, me traînant tant bien que mal vers les moyens de SOS.
Ce bateau que j’avais bichonné entretenu peaufiné pendant des années abandonné en un instant. Sur le moment je n’ai pas pensé au bateau, dans mon esprit les sauveteurs s’en occupaient après m’avoir treuillé… effectivement j’ai appris longtemps après par les espagnols (le Crossmed s’est contenté de me dire qu’ils ne s’occupaient pas des biens) que l’hélico était revenu survoler la zone mais n’avaient rien vu.

 

Evidemment il était sous pilote et avec un bout de foc il avançait bien. Je ne l’ai pas fermé, pas plié les voiles, pas enlevé le pilote et je n’ai pas parlé du bateau aux marins de l’armée dans l’hélicoptère. J’étais encore dans l’animalité, la sidération. Depuis, rentré à la maison, je mesure un peu plus chaque jour les conséquences. Evaluées environ à 50000 euros d’investissement, sans parler de l’aspect moral, du temps passé de la tracasserie administrative qui s’ensuit…

 

Seul point positif j’ai encore la santé, un toit, et du travail suite à la blessure d’Henri à qui je n’en demandais pas tant… Ces mots de Nicolas Bouvier me parlent : J’ai voulu "jouir de la polyphonie du monde" et "On prend la route pour que cette route vous plume vous use vous essore " c’est réussi !

 

Reprise du travail de guide et fin heureuse :

 

J’ai maintenant hâte de solder cette histoire… Et ces messages d’Alice, ma fille ainée, qui me font tant de bien :

 

De patrick Boucherand responsable des guides bonjour,
Voici (enfin) la prime pour 2017 ! PETRAUD Daniel : 73 % de clients Très Satisfaits (avec 11 retours). Soit une prime de : 310 €. Le 12 janv. 2019 à 11:52,

 


Daniel Petraud a écrit : Vous croyez que c'est suffisant pour retrouver confiance en moi ?

 

Le 12/01/2019 à 19:37, Alice Petraud a écrit :
Ah ah ils donnent une prime quand tu as bien fait ton boulot? Si tes clients sont vivants et que toi aussi c’est déjà pas mal je dirais ;) Tu as fait une belle carrière de guide papa sois-en convaincu. Tu viens de faire une erreur de débutant mais tu étais débutant même à 73 ans. Tu as cette force et cette jeunesse de prendre encore des risques, d’être passionné, crois-moi ce sont deux qualités rares d’autant plus quand le temps passe. Tu ne t’ennuies jamais et tu trouves toujours des choses passionnantes à faire sur terre ou sur mer. Et tu as une santé de fer. Tu peux avoir confiance d’autres belles choses t’attendent rien n’est perdu ! Bisous

 

Le 12 janv. 2019 à 11:52, Daniel Petraud a écrit : Ma chérie, Ce message me fait tellement de bien, Je vais le garder bien au chaud contre mon cœur, à relire dans les moments de déprime. Ton Papa qui t'aime fort

 

Alice a ecrit : Tu vas rebondir j’en suis sûre : tu n’as pas tout perdu tu as encore ta santé ce qui est l’essentiel pour toute chose à entreprendre. Après cette saison tu pourras avoir de nouveaux objectifs, repenser ta vie peut-être aussi. Tes priorités. Ce dans quoi tu veux mettre de l’énergie. Pourquoi pas un autre voyage en bateau l’année prochaine pour ne pas rester sur le souvenir de cet échec. Ne soit pas trop dur avec toi-même tu as essayé. Essaie de mettre les ruminations négatives de côté, même si c’est difficile. Pense à ceux qui sont là autour de toi et qui t’aiment. Tu as encore l’essentiel: l’amour et la santé, un toit pour vivre, des économies qui te permettent de jouer encore de la guitare. Courage papa! Tu vas rebondir tu es fort! Ta grande fille croit en toi. Gros bisous

 

Daniel Petraud a ecrit : Belle parole juste ma grande. Occasion de voir que l'on est aimé. Vous avez été très présentes mes filles et ma mie. On se rend compte aussi que dans la vie quotidienne on se concentre trop sur le futile on butte sur les mottes de terre alors qu'on est entourés de montagnes. Bisous ma grande que j'aime... Excuses moi... pour ce passage à vide... ça va déjà mieux ;-)

 

Alice : Oh mais c’est pas grave. C’est même normal. Mais ne te laisse pas abattre par cet incident ! Tu as encore plein de choses à vivre Courage. Bientôt tu seras dans l’action du boulot!

 

"j’suis arrivé tête en premier, nu comme un vers et grelottant, j’repartirai les pieds devant dans l’même état, riez pour moi " J.Higelin

 

Se retrouver nu, vivre une renaissance, expérience impromptue, qui m’appauvrit financièrement mais m’enrichit spirituellement… La recherche d’un nouveau bateau est déjà lancée… "On ne recule pas ses limites on les découvre" cette phrase de Jean-Louis Etienne résonne en moi.
C’est la limite de ma trop grande émotivité et de ma trop petite résistance au mal de mer qui m’ont emmené à t’abandonner pauvre Timoun tant aimé, tant choyé… Adieu donc Timoun et bienvenue cocagne2. Bagarre tout l’hiver et remboursement inespéré de Timoun - assuré tous risques, merci la MAAF - à son prix d’achat ! Ce qui m’a permit, chanceux que je suis, de racheter un voilier dès le printemps suivant ma mésaventure…

 

 

 

Cocagne 2 un Dufour 21 pieds (9m40) de 42 ans bien entretenu…

 

Beaucoup navigué et beaucoup investi dans ce nouveau voilier depuis le printemps 2019 d'abord au port à sec de Martigues puis "à l'eau" à Port Saint Louis du Rhône.

 

Fin Heureuse : tout est à nouveau possible, renaissance du rêve ?...

...A suivre